Echanges entre Marie-Christine et Anne
Anne : Bonjour Marie-Christine, tu héberges chez toi une famille d’ukrainiens depuis le mois de mars 2022, comment t’es-tu décidée à proposer cet « hébergement citoyen » ? Combien de personnes loges-tu ?
Marie-Christine : Lorsque les russes ont envahi l’Ukraine, ce mot « exode » a retenti en moi comme étant une répétition de ce que mes parents et grands-parents avaient vécu lors de la Deuxième Mondiale à Saint-Nazaire. Je ne l’avais pas moi-même vécue car, je n’étais pas encore née, mais j’allais en faire à mon tour l’expérience douloureuse même si c’est différent. La maison familiale fut rasée ; mes grands-parents, mes parents ont tout perdu.
J’ai été bouleversée et je me suis dit que j’avais la chance d’habiter dans leur grande maison reconstruite, et que, y vivant seule depuis bientôt trois ans, cette maison pouvait retrouver une vie d’accueil et de fraternité.
Après réflexion, avoir attendu un peu, j’en ai parlé avec mes deux filles qui m’ont aussitôt encouragée, et je me suis rendue à la mairie de Saint-Nazaire afin de me renseigner sur la marche à suivre pour s’inscrire, laquelle me dirigea vers le CCAS. L’inscription fut enregistrée pour recevoir une famille de quatre personnes. Puis, ayant projeté une promenade en front de mer, alors que je n’avais pas fait 500 mètres, mon téléphone se mit à sonner : une famille, originaire de Mikolaïv, dans le sud de l’Ukraine, composée des deux parents et de deux jeunes garçons, était en route pour la France et particulièrement Saint-Nazaire. Il leur fallait donner une adresse où ils iraient s’installer, et s’assurer que ma maison était prête. On était le vendredi après-midi, leur arrivée était prévue pour le lendemain en début de soirée.
Anne : Tu n’as pas eu beaucoup de temps pour te retourner pour préparer l’accueil de cette famille ? Combien de temps avais-tu prévu de les héberger ?
Marie-Christine : Je n’avais pas mentionné de durée d’accueil. On espérait tous que la guerre allait être courte et qu’ils retourneraient en Ukraine dans les trois mois. Question organisation, c’est vrai je n’ai pas eu beaucoup de temps pour préparer. J’ai commencé par aller faire des courses parce qu’après près de cinq jours de route, ils arriveraient harassés de fatigue, et un bon repas chaud les attendrait. Puis, j’ai vidé quelques meubles et les ai répartis dans les deux chambres qui leur étaient destinées, fait les lits… préparé l’une des deux salles d’eau dont eux seuls auraient la jouissance. Ils pourraient également utiliser l’espace du grenier aménagé en petit salon. Nous partagerions la cuisine, la salle à manger, la buanderie, le jardinet… La maison était suffisamment spacieuse pour que chacun y trouve ou y garde son intimité.
Anne : Comment les relations se sont-elles établies entre vous et comment évoluent-elles aujourd’hui ?
Marie-Christine : La relation s’est établie assez vite entre nous. Nataliia s’est vite approprié la cuisine, la buanderie car après cinq jours ils arrivaient à court de vêtements propres. Les traducteurs sur nos téléphones ont vite eu raison de ce qui aurait pu être un gros problème de compréhension entre nous. Comme Yevgeniy travaillait depuis quelques années aux Chantiers navals de Saint-Nazaire, ils ont été très vite autonomes dans leur vie quotidienne. Mon plus grand soutien a certainement été de leur faciliter toutes les démarches administratives, l’inscription aux cours de français, leur faire découvrir la région, s’inscrire dans un réseau d’amitié et de fraternité grâce à l’association « Droujba »…
Depuis huit mois maintenant nos relations se transforment en pure amitié, qui va certainement bien au-delà de la simple reconnaissance. Ainsi, les petites attentions aux anniversaires, fêtes diverses – et ils en ont beaucoup – le partage de coutumes culinaires, découverte d’ustensiles inconnus… échanges de recettes… et même un séjour à Paris qui fut un moment fort, où ils m’ont invitée l’été dernier. Devant renouveler leur passeport à l’ambassade d’Ukraine à Paris, ils en ont profité pour faire du tourisme et, de plus, fêter l’anniversaire de Nataliia ! Une amie a même offert un ballon pour les jeunes garçons qui ne pouvaient rêver mieux sur les grands espaces de verdure et plages de Saint-Nazaire ! Les cours scolaires se sont organisés via internet sous la surveillance de la maman, elle-même professeure de biologie.
De plus, nous avons vite trouvé un consensus d’adaptations réciproques concernant l’occupation de la cuisine – surtout qu’un bon Borsch doit être mijoté longtemps, les horaires des repas, les horaires des prises de douches car, je n’en ai qu’une dans la maison. Des moments d’entraides mutuelles se sont naturellement instaurés pour du bricolage ou du petit jardinage, ou tout simplement la surveillance du chat ou de la maison lors de mes absences…
Anne : Après ces huit mois passés ensemble, une autre étape va bientôt être franchie puisqu’il leur est offert un appartement à Donges, comment appréhendes-tu la séparation ?
Marie-Christine : Même si nous nous entendons bien, et que nous apprécions cet enrichissement mutuel de cohabitation, je pense qu’ils seront contents de retrouver leur intimité familiale, de couple, construire leur « chez eux » à leur goût, pouvoir recevoir des amis… ce qu’ils refusaient de faire par respect pour moi, ils doivent aussi aspirer à une vie sociale plus normalisée. C’est cependant une relation forte qui subsistera désormais entre nous, même habitant à Donges ou retournés en Ukraine. L’amitié, ce n’est pas une question de distance…
Je me sens un peu de la famille surtout quand je vais chercher ou conduire à l’école le fils cadet de 9 ans, Artem, lorsque son frère Andrii ou l’un des parents sont indisponibles… ou bien en proposant des jeux de société les jours de pluie, partageant les crises de rires au milieu de moments d’inquiétude lors de l’écoute des informations et de chagrin à l’annonce de la mort de leur chien après qu’une roquette soit tombée dans leur jardin et arrachant le toit de leur maison.
La séparation n’est pas pour tout de suite car leur maison en Ukraine est toujours inhabitable bien que bâchée, plus de vitres, tout est dans un fatras depuis des mois, des roquettes ont labouré leur jardin, plus d’infrastructures, ni eau ni électricité ni gaz… le froid qui arrive… et puis … toujours les bombardements…
J’espère pouvoir les retrouver un jour en Ukraine lorsque tout sera enfin apaisé, ce qui me motivera pour apprendre l’ukrainien certainement.
Anne : Recommenceras-tu cet hébergement citoyen ? Car il faut une sacrée dose d’humanisme et d’ouverture d’esprit pour se lancer dans cette aventure ?
Marie-Christine : Si c’est possible, j’aimerais retrouver mon chez moi pendant quelques temps mais si quelqu’un est vraiment dans le besoin, j’ouvrirai à nouveau ma maison. C’est vrai qu’il faut avoir un tempérament ouvert au partage, ne pas être maniaque, et aimer la compagnie… aimer les gens… leur venir en aide…
C’est cela ma vie.
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