Intervew Vincent Lesouef (médecin)

Anne LORE : Médecin soignant, comment vivez-vous votre exercice professionnel aujourd’hui ?

 

Vincent LESOUEF : Plusieurs facteurs rendent de plus en plus difficile l’exercice des médecins. Tout d’abord, leur non remplacement lors de la retraite. Ensuite, trois faits ont marqué, selon moi, la population provoquant des changements frappants dans les comportements. En premier lieu le confinement dû à la pandémie de la Covid, puis l’éco-anxiété, induite par les changements climatiques et à la dégradation de la planète, et la guerre en Ukraine. Ces trois facteurs ont amené des nouvelles pathologies auxquelles nous n’étions pas confrontés avec une telle intensité. Insouciance transformée en angoisse de la mort, angoisse de perdre tout ce qui a été acquit au long de la vie, angoisse de ne plus pouvoir vivre dans son confort.

Il faut ajouter à cela le numérique omniprésent mal maîtrisé qui fait naître cette exigence d’immédiateté en tout domaine.

Il faut donc s’adapter à ces changements. La profession en subit les conséquences.

Fort heureusement les bons côtés pèsent dans la balance et je garde constant en moi cet enthousiasme à vouloir soulager la bonne trentaine de patients journalière qui vient frapper à ma porte. De plus, le travail en Maison de Santé Pluridisciplinaire est très enrichissant. Nous exerçons entre nous le compagnonnage et nous nous faisons profiter mutuellement de nos connaissances et expériences diverses de l’être humain, corps et âme, au travers de nos spécificités.

 

Anne : en tant que Chrétien comment vivez-vous votre foi aujourd’hui ?

 

Vincent : j’ai été élevé dans le rite catholique et j’ai puisé dans l’évangile depuis enfant ce désir d’aller vers les plus faibles et les plus fragiles. Jeune, j’ai été marqué par ces « boat people » qui m’ont fait toucher du doigt l’injustice et m’ont conforté dans mes orientations idéologiques et professionnelles. En famille nous vivons au rythme des fêtes religieuses et les sacrements nous permettent de puiser la nourriture spirituelle dont nous avons besoin. Mon engagement à l’EAP pendant quelques années peut en témoigner.

Aujourd’hui ce qui m’anime c’est la foi. En qui je crois ? En quoi je crois ? Au-delà de tout rite prescrit par la religion… C’est cette recherche de vouloir habiter mes actes… Sans doute est-ce la Sagesse due à l’âge avançant qui m’incite à vouloir explorer plus loin ? L’époque actuelle nous secoue dans nos croyances, nous provoque, nous force à nous poser des questions.

 

Anne : pour vous, aujourd’hui, qu’est-ce qu’être médecin et chrétien à la fois ?

 

Vincent : vous voulez dire : « est-ce que le fait d’être chrétien modifie mon exercice ? »

L’exercice médical répond à des règles (serment d’Hippocrate). Et nous sommes dans une société laïque. Je ne sais pas si mes patients m’identifient comme chrétien car je ne suis pas pour les signes ostentatoires. Comme je reçois toutes catégories de population, les catholiques pourront apercevoir cette petite branche de buis béni au jour des Rameaux fichée sur le coin de mon calendrier…

Mes convictions vont vers ce qui est humainement tolérable. Je suis là pour accompagner, soulager l’angoisse du malade. Même si la religion n’est pas au-dessus de la loi on ne peut être indifférent et insensible à la souffrance des gens. Notre foi nous éclaire, elle est vecteur d’interrogation, et aide à nous préserver du jugement et du ressentiment.

On peut quand même avoir le vertige lorsque l’on voit l’évolution des techniques en médecine et les risques de dérapages, mais ces cas ne sont pas le quotidien du médecin. Il faut mettre de la nuance et de la sensibilité. Ne pas faire du médecin l’instrument de la mort mais l’instrument de l’Espérance.

Un commentaire

Ajouter un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.