Jean-Yves, tu es un paroissien de Saint François et ton « aventure » a été relatée régulièrement dans le bulletin paroissial mais les autres paroisses ne la connaissent peut être pas. Peux-tu nous résumer en quelques mots ce projet ?
Tout est parti d’un chemin vers St-Jacques que j’ai fait seul en 2016. Cela a été pour moi une aventure humaine formidable, un pèlerinage riche en découvertes, en rencontres et en partages.
Ce nouveau projet est le fruit d’un réflexion entre frères et sœurs, en famille pour proposer un nouveau chemin vers Jérusalem, ouvert à tous : aventure et « pèlerinage laïc » avec pour objectif de porter un message de fraternité là-bas mais aussi tout le long du chemin.
Qu’est-ce que tu entends par « message de fraternité » ?
Pour moi, la fraternité c’est d’abord un état d’esprit, d’ouverture à l’autre, de respect de l’autre dans sa particularité. C’est aussi une attitude, un regard, un sourire, une parole, un geste, un échange… tout simplement.
La fraternité est le maître-mot de ce chemin : une volonté, un parti-pris. Cela arrive que nous soyons en désaccord les uns avec les autres, mais nous devons apprendre à vivre en frères et sœurs malgré tout, même si ce n’est pas toujours évident. Il faut faire des concessions, c’est la base de la fraternité.
Le pape François disait lors de Journée mondiale de la paix en 2014 :
La fraternité a besoin d’être découverte, aimée, expérimentée, annoncée, et témoignée. […] Dans le cœur de chaque homme et de chaque femme habite […] le désir d’une vie pleine, à laquelle appartient une soif irrépressible de fraternité, qui pousse vers la communion avec les autres, en qui nous ne trouvons pas des ennemis ou des concurrents, mais des frères à accueillir et à embrasser. […]
Tu parles de pèlerinage laïc, peux-tu nous en dire plus ?
Ma sœur Michelle se disant agnostique, ne souhaitait pas associer cette aventure à un pèlerinage catho. Nous avions aussi la volonté d’ouvrir cette marche à toute personne croyante ou non. D’où le surnom de « pèlerinage laïc ».
On peut parler de fraternité ou la faire vivre « localement », qu’est-ce qu’un chemin de fraternité apporte en plus ?
Je suis d’accord que la fraternité doit d’abord se vivre au quotidien, là où on est, et avec tous.
Le chemin est un moyen de porter ce message et de le partager plus largement. Il veut être aussi un témoignage, une interpellation face à une nécessité pour notre monde, une urgence universelle.
Le chemin nous aide à aller vers les autres, à nous décentrer de nous-même, à croiser des gens différents. Le chemin nous apprend à nous découvrir, à vivre ensemble, à nous connaître autrement, à ne plus avoir peur de l’autre.
A l’occasion de ce chemin, plusieurs personnes m’ont aussi confié leurs intentions de prière à porter sur le chemin vers Jérusalem. Ce chemin est aussi le leur, en union de prière.
Et la fraternité c’est aussi et surtout avant et après ; entre marcheurs et non-marcheurs ; avec toutes les personnes rencontrées.
Tu parles d’ « avant », ce sont les préparatifs, comment avez-vous préparé cette aventure ?
Dès 2019, l’idée de créer une association autour du projet a été avancée. L’association « de Saint-Nazaire à Jérusalem – un chemin de fraternité » a été créée et regroupe des personnes qui ont adhéré au projet et ont apporté leurs compétences.
Diverses rencontres ont permis de réfléchir à la communication et à la logistique, dont le chariot qui nous a servi de vecteur de communication tout au long du chemin. Nous sommes également allés présenter la démarche aux religieuses de l’EHPAD le Prieuré à Pontchâteau, lesquelles nous ont suivis et portés dans leur prière tout au long du chemin.
Un concert de soutien a été organisé avec le groupe « Rêve de mer » au théatre Jean Bart, et le groupe « Chants Sons de Vie ». Salle comble et ambiance formidable.
Plusieurs marches préparatoires ont permis de réunir les adhérents, dont une de Saint-Nazaire au Mont saint-Michel.
Tu parles de 2019 et vous êtes partis en 2022 ?
Oui, nous avons dû reporter 2 fois notre départ. La première fois 15 j avant le départ pour cause de pandémie et confinement généralisé. La seconde fois en 2021, toujours la pandémie. Nous avons toujours mis le respect des règles sanitaires avant tout le reste, là aussi dans un esprit de fraternité.
Comment les gens que vous avez croisés ont-ils reçu ce témoignage de fraternité ?
Par un très bon accueil. La très grande majorité des gens partagent notre message et nous remercient de le porter. Hormis 2 ou 3 réactions plus négatives sur les religions, les églises, qui peuvent représenter, pour quelques-uns, l’argent et la guerre. Le problème ce n’est pas Dieu, disait une dame, mais c’est la religion des hommes. Il est important pour moi d’accueillir tout cela comme une interpellation.
De votre côté, qu’avez-vous reçu des personnes rencontrées ?
Ces réactions négatives me font réfléchir et m’encouragent à aller plus loin pour mieux expliquer notre démarche fraternelle et non prosélyte.
Pour toutes les autres rencontres, les échanges cordiaux, les accueils, les partages, les sourires, nous ont fait vivre cette fraternité naturelle, qui réjouit le cœur de chacun, qui fait du bien, une sorte de communion aux mêmes valeurs et aux mêmes aspirations de bonheur. Oui la fraternité sur cette terre est non seulement possible mais elle nous enrichit tous mutuellement. Elle doit être un parti-pris incontournable, indispensable.
Vous avez voulu partager votre chemin par les réseaux sociaux, pourquoi était-ce important pour vous ?
C’est un moyen de communiquer, de partager, d’échanger avec les personnes qui n’ont pas pu marcher mais se sont associées autrement, c’était une façon de garder le lien avec la famille et les amis. C’est aussi un moyen de témoigner, même au-delà de nos cercles de relation habituels. Un grand merci à la petite équipe de coordination à Saint-Nazaire pour avoir assuré ce lien avec nos réseaux pendant toutes ces semaines, dont le blog sur notre site web. C’est aussi cela la fraternité vécue au quotidien.
Le projet porte le nom « de Saint-Nazaire à Jérusalem », Jérusalem n’est pas encore atteinte, y aura-t-il une suite ?
Effectivement, notre marche a fait une pause à Budapest pour Michelle, et à Belgrade pour moi, mais le chemin continue.
Après la Hongrie, j’ai rencontré en Serbie des personnes magnifiques, avec des accueils d’autant plus facile, peut-être, que j’étais seul avec ma « cariquelle » sous un soleil de plomb. Je pense à François (František) , le curé catholique de Backa Palanka, avec sa mère, Anna, qui m’ont accueilli à bras ouverts chez eux pour la nuit.
François m’avait écrit une lettre de recommandation pour faciliter d’autres accueils plus loin. Je pense à son ami, le pope orthodoxe et sa famille chez qui nous sommes allés ensemble boire un verre et échanger fraternellement en soirée.
Il y a aussi Stevan, un jeune qui tenait une permanence dans son église orthodoxe, et sa famille qui m’ont aussi invité et reçu chez eux. Et tant d’autres belles rencontres malgré les difficultés de communication !
C’est à Belgrade que j’ai décidé de terminer la première partie du trajet, après avis des uns et des autres. Trop chaud, trop dangereux sur les routes avec le chariot dans la circulation, trop fatigué aussi. Donc trop c’est trop !
L’important n’est-il pas d’avoir porté notre message de fraternité comme nous l’avons fait jusque-là et de continuer jusqu’à Jérusalem, y compris avec d’autres moyens ?
Le chariot a été donné à l’auberge de jeunesse dans laquelle j’étais. Peut-être continue-t-il de diffuser ses messages de fraternité aux pèlerins de passage encore aujourd’hui ?
En février prochain, nous allons porter notre message directement par avion en Israël et en Palestine. Les modalités changent mais le chemin continue. La priorité de ce séjour sera alors donnée davantage aux rencontres fraternelles plutôt qu’à la marche en elle-même.
Le chemin se poursuit donc après votre retour, comptez-vous relater cette « aventure » et sous quelle forme ?
Une présentation de ce chemin, sous forme d’un diaporama et d’un échange, sera proposée dans les semaines qui viennent. Nous y travaillons avec Michelle.
Nous n’avons pas parlé de l’aspect « sportif » de votre marche puisque ce n’était pas l’exploit qui était recherché mais en quelques mots, comment vit-on une telle aventure par la chaleur que nous avons eue cet été ?
Faire 3300 km en 4 mois et 8 jours, c’est d’abord retrouver la forme physique avec 20 kg en moins pour ce qui me concerne en arrivant en Serbie. Le corps est une formidable machine qui s’adapte à toutes les situations mais il faut savoir l’écouter de temps en temps. Nous avons dû boire énormément d’eau, dormir beaucoup, se déconnecter des écrans et des actualités en boucle, ce qui n’est pas plus mal. On apprend à se passer du superflu à tous les niveaux.
La chaleur a été éprouvante à certains moments mais nous avons souvent été témoins de l’empathie et de la gentillesse des gens qui nous ont offert sur le chemin, qui un fruit, qui de l’eau ou une boisson rafraîchissante, pour nous réconforter et nous encourager. De beaux moments de partage et de fraternité !
Il nous tarde maintenant de nous envoler pour la deuxième étape et partager de nouvelles rencontres auxquelles nous vous associerons, par la prière, bien sûr, mais aussi par le biais de nos réseaux sociaux :
Le site web : de Saint-Nazaire à Jérusalem – un chemin de fraternité, marche 2020
L’adresse facebook https://www.facebook.com/desaintnazaireajerusalemunchemindefraternite/
L’adresse mail : desaintnazaireajerusalem@gmail.com,
J’aimerais conclure par un extrait du livre d’Edgar Morin sur “la fraternité” (Actes Sud).
En parlant de la fraternité,
Cela la rend d’autant plus précieuse : elle est fragile comme la conscience, fragile comme l’amour dont la force est pourtant inouïe.
La fraternité, moyen de résister à la cruauté du monde, doit devenir but sans cesser d’être moyen. Le but ne peut être un terme, il doit devenir chemin, notre chemin, celui de l’aventure humaine.
Alors, tous ensemble, nous continuerons sur ce chemin de fraternité, là où nous sommes.
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